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domaine immense et presque vierge. Grâce à de telles œuvres, les hommes apprendront le bonheur de l’union fraternelle.

L’art doit supprimer la violence, et seul il peut le faire. Sa mission est de faire régner le royaume de Dieu, c’est-à-dire de l’Amour[1].

Qui de nous n’épouserait ces généreuses paroles ? Et qui ne voit qu’avec beaucoup d’utopies et quelques puérilités, la conception de Tolstoï est vivante et féconde ! Oui, l’ensemble de notre art n’est que l’expression d’une caste, qui se subdivise elle-même, d’une nation à l’autre, en petits clans ennemis. Il n’y a pas en Europe une seule âme d’artiste qui réalise en elle l’union des partis et des races. La plus universelle, en notre temps, fut celle même de Tolstoï. En elle nous nous sommes aimés, hommes de tous les peuples et de toutes les classes. Et qui a, comme nous, goûté la joie puissante de ce vaste amour, ne saurait plus se satisfaire des lambeaux de la grande âme humaine, que nous offre l’art des cénacles européens.

    peuple, écrit Stephan Anikine, ancien député à la Douma, le nom de Tolstoï se confond avec l’idée de « livre ». On peut souvent entendre un petit villageois demander naïvement, dans une bibliothèque : « Donnez-moi un bon livre, un tolstoïen ! » (Il veut dire un livre épais). — (À la mémoire de Tolstoï, lectures faites à l’Aula de l’Université de Genève, le 7 décembre 1910.)

  1. Cet idéal de l’union fraternelle entre les hommes ne marque point pour Tolstoï le terme de l’activité humaine ; son âme insatiable lui fait concevoir un idéal inconnu, au delà de l’amour : « Peut-être la science découvrira-t-elle, un jour, à l’art un idéal encore plus élevé, et l’art le réalisera. »