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Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/151

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l’avait aimé, et il l’aima toujours. Ses plus lointains souvenirs d’Enfance étaient liés à la Sonate Pathétique ; et quand Nekhludov, à la fin de Résurrection, entend jouer l’andante de la Symphonie en ut mineur, il a peine à retenir ses larmes ; « il s’attendrit sur lui-même ». — Cependant, on a vu avec quelle animosité Tolstoï s’exprime dans Qu’est-ce que l’Art ?[1] au sujet des « œuvres maladives du sourd Beethoven » ; et déjà en 1876, l’acharnement avec lequel « il aimait à démolir Beethoven et à émettre des doutes sur son génie » avait révolté Tschaikovsky et refroidi l’admiration qu’il avait pour Tolstoï. La Sonate à Kreutzer nous permet de voir au fond de cette injustice passionnée. Que reproche Tolstoï à Beethoven ? Sa puissance. Il est comme Gœthe, écoutant la Symphonie en ut mineur, et, bouleversé par elle, réagissant avec colère contre le maître impérieux qui l’assujettit à sa volonté[2] :

Cette musique, dit Tolstoï, me transporte immédiatement dans l’état d’âme où se trouvait celui qui l’écrivit… La musique devrait être chose d’État,

  1. Qu’on ne dise pas qu’il s’agit là seulement des dernières œuvres de Beethoven. Même à celles du début qu’il consent à regarder comme « artistiques », Tolstoï reproche « leur forme artificielle ». — Dans une lettre à Tschaïkovsky, il oppose de même à Mozart et Haydn, « la manière artificielle de Beethoven, Schumann et Berlioz, qui calculent l’effet. »
  2. Cf. la scène racontée par M. Paul Boyer : « Tolstoï se fait jouer du Chopin. À la fin de la quatrième Ballade, ses yeux se remplissent de larmes. — « Ah ! l’animal ! » s’écrie-t-il. Et brusquement il se lève et s’en va. » (Le Temps, 2 novembre 1902.)