Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/164

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guerre russo-japonaise, la débâcle qui suivit, l’agitation révolutionnaire, les mutineries de l’armée et de la flotte, les massacres, les troubles agraires semblaient marquer « la fin d’un monde », — comme dit le titre d’un ouvrage de Tolstoï. — Le sommet de la crise fut atteint entre 1904 et 1905. Tolstoï publia, dans ces années, une série d’œuvres retentissantes : Guerre et Révolution[1], le Grand Crime, la Fin d’un Monde[2]. Durant cette dernière période de dix ans, il occupe une situation unique, non seulement en Russie, mais dans l’univers. Il est seul, étranger à tous les partis, à toutes les patries, rejeté de son Église qui l’a excommunié[3]. La logique de sa raison, l’intransigeance de sa foi, l’ont « acculé à ce dilemme : se séparer des autres hommes, ou de la vérité. » Il s’est souvenu du dicton russe : « Un vieux qui ment, c’est un riche qui vole » ; et il s’est séparé des hommes, pour dire la vérité. Il la dit tout entière à tous. Le vieux chasseur de mensonges continue de traquer infatigablement toutes les superstitions religieuses ou sociales, tous les fétiches. Il n’en a pas seule-

  1. Le titre russe de cette œuvre est : Une seule chose est nécessaire (Saint-Luc, xi, 41.)
  2. La plupart ont été, de son vivant, gravement mutilées par la censure, ou totalement interdites. L’œuvre circulait en Russie, jusqu’à la Révolution, sous la forme de copies manuscrites, cachées sous le manteau. Même aujourd’hui, il s’en faut que tout soit publié ; et la censure bolchevike n’a pas moins été tyrannique que la censure tsariste.
  3. L’excommunication de Tolstoï par le Sainte-Synode est du 22 février 1901. Elle fut motivée par un chapitre de Résurrection relatif à la messe et à l’Eucharistie. Ce chapitre, nous le regrettons, a été supprimé dans la traduction française de Wyzewa.