Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/168

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ont le droit d’élire ceux parmi leurs geôliers qui sont chargés de la police intérieure de la prison… Un membre d’un État despotique peut être entièrement libre, même parmi les plus cruelles violences. Mais un membre d’un État constitutionnel est toujours esclave, car il reconnaît la légalité des violences commises contre lui… Et voici qu’on voudrait amener le peuple russe au même état d’esclavage constitutionnel que les autres peuples européens[1] !…

  1. La Fin d’un Monde (1905-janvier 1906).

    Cf. le télégramme adressé par Tolstoï à un journal américain :

    « L’agitation des Zemstvos a pour objet de limiter le pouvoir despotique et d’établir un gouvernement représentatif. Qu’ils réussissent ou non, le résultat certain sera l’ajournement de la véritable amélioration sociale. L’agitation politique, en donnant l’illusion funeste de cette amélioration par des moyens extérieurs, arrête le vrai progrès, comme on peut le constater par l’exemple de tous les États constitutionnels : France, Angleterre, Amérique. » (Le mouvement social en Russie, — M. Bienstock a introduit cet article dans la préface du Grand Crime, trad. française, 1905.)

    Dans une longue et intéressante lettre à une dame, qui lui demandait de faire partie d’un Comité de propagation de la lecture et de l’écriture parmi le peuple, Tolstoï exprime d’autres griefs contre les libéraux : Ils ont toujours joué le rôle de dupes ; ils se font les complices, par peur, de l’autocratie ; leur participation au gouvernement donne à celui-ci un prestige moral, et les habitue à des compromis, qui font d’eux rapidement les instruments du pouvoir. Alexandre ii disait que tous les libéraux étaient à vendre pour des honneurs, sinon pour de l’argent. Alexandre iii a pu anéantir sans risques l’œuvre libérale de son père : « Les libéraux chuchotaient entre eux que cela ne leur plaisait pas, mais ils continuaient à prendre part aux tribunaux, au service de l’État, à la presse ; dans la presse, ils faisaient allusion aux choses pour lesquelles l’allusion était permise, mais ils se taisaient pour ce dont il était défendu de parler, et ils inséraient tout ce qu’on leur ordonnait d’insérer ». Ils font de même sous Nicolas ii. « Quand ce jeune homme qui ne sait rien, qui ne comprend rien, répond avec effronterie et avec manque de tact aux représentants du peuple, les libéraux protestent-ils ? Nullement… De tous côtés, on envoie au jeune tsar de lâches et flatteuses félicitations. » (Corresp. inédite, p. 283-306.)