Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/223

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Chine disparaîtrait le point d’appui de la vraie sagesse populaire et pratique, paisible et laborieuse, qui, de l’Empire du Milieu, doit s’étendre progressivement à tous les peuples. Tolstoy croit le moment venu d’une transformation capitale dans la vie de l’humanité ; il a la conviction que la Chine est appelée à y jouer le premier rôle, à la tête des peuples d’Orient. La tâche de l’Asie est de montrer au reste du monde le vrai chemin à la vraie liberté ; et ce chemin, dit Tolstoy, n’est autre que le Tao. Surtout que la Chine se garde de vouloir se réformer sur le plan et l’exemple de l’Occident, — c’est-à-dire en remplaçant son despotisme par un régime constitutionnel, une armée nationale et la grande industrie ! Qu’elle considère le tableau lamentable de ces peuples d’Europe, avec l’enfer de leur prolétariat, avec leurs luttes de classes, leur course aux armements et leurs guerres sans fin, leur politique de rapine coloniale, — la banqueroute sanglante de toute une civilisation ! L’Europe est un exemple, — oui ! — de ce qu’il ne faut pas faire. Et comme la Chine ne peut, d’autre part, rester dans l’état présent, où elle se voit livrée à toutes les agressions, une seule voie lui est ouverte : celle de la Non-Résistance absolue vis-à-vis de son gouvernement et de tous les gouvernements. Qu’elle poursuive, impassible, sa culture de la terre, en se soumettant à la seule loi de Dieu ! L’Europe se trouvera désarmée devant la passivité héroïque et sereine de 400 millions d’hommes. Toute la sagesse humaine et le secret du bonheur sont dans la vie de travail paisible sur son champ, en se guidant d’après les principes des trois religions de Chine : le Confucianisme, qui libère de la force brutale ; le Taoïsme, qui prescrit de ne pas faire aux autres ce qu’on ne veut pas que les autres vous fassent ; et le Bouddhisme, qui est tout abnégation et amour.

Des conseils de Tolstoy, nous voyons ce que la Chine d’aujourd’hui paraît faire ; et il ne semble pas que son docte correspondant, Ku-Hung-Ming, en ait beaucoup profité : car son traditionalisme, dis-