Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/40

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Un panthéisme passionné donne à certaines pages une beauté lyrique, dont les accents rappellent les récits du Caucase. Ainsi, la description de cette nuit d’été :

L’éclat tranquille du lumineux croissant. L’étang brillant. Les vieux bouleaux, dont les branches chevelues s’argentaient d’un côté, au clair de lune, et, de l’autre, couvraient de leurs ombres noires les buissons et la route. Le cri de la caille derrière l’étang. Le bruit à peine perceptible de deux vieux arbres qui se frôlent. Le bourdonnement des moustiques et la chute d’une pomme qui tombe sur les feuilles sèches, les grenouilles qui sautent jusque sur les marches de la terrasse, et dont le dos verdâtre brille sous un rayon de lune… La lune monte ; suspendue dans le ciel clair, elle remplit l’espace ; l’éclat superbe de l’étang devient encore plus brillant ; les ombres se font plus noires, la lumière plus transparente… Et moi, humble vermisseau, déjà souillé de toutes les passions humaines, mais avec toute la force immense de l’amour, il me semblait en ce moment que la nature, la lune et moi, nous n’étions qu’un[1].

Mais la réalité présente parlait plus haut que les rêves du passé ; elle s’imposait, impérieuse. Jeunesse resta inachevée ; et le capitaine en second comte Léon Tolstoï, dans le blindage de son bastion, au grondement de la canonnade, au milieu

  1. Jeunesse, xxxii (vol. ii des Œuvres complètes).