Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/61

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ans[1]. Plus tard, il a conté dans Anna Karénine comment il fit sa déclaration à Sophie Bers et comment elle y répondit, — en dessinant tous deux, avec de la craie sur une table, les initiales des mots qu’ils n’osaient dire. Comme Levine dans Anna Karénine, il eut la cruelle loyauté de remettre son Journal intime à sa fiancée, afin qu’elle n’ignorât rien de ses hontes passées ; et, comme Kitty dans Anna, Sophie en ressentit une amère souffrance. Le 23 septembre 1862 se fit leur mariage.

Mais depuis trois ans déjà, ce mariage était fait dans la pensée du poète, écrivant Bonheur Conjugal[2]. Depuis trois ans, il avait déjà vécu par avance les ineffables jours de l’amour qui s’ignore, et les jours enivrés de l’amour qui se découvre, et, l’heure où les divines paroles attendues se murmurent, les larmes « d’un bonheur qui s’envole pour toujours et ne reviendra jamais » ; et la réalité triomphante des premiers temps du mariage, l’égoïsme amoureux, « la joie incessante et sans cause » ; puis, la fatigue qui vient, le mécontentement vague, l’ennui de la vie monotone, les deux

  1. Voir dans Bonheur Conjugal la déclaration de Serge :

    « Supposez un monsieur A, un homme vieux qui a vécu, et une dame B, jeune, heureuse, qui ne connaît encore ni les hommes ni la vie. Par suite de diverses circonstances de famille, il l’aimait comme une fille, et ne pensait pas pouvoir l’aimer autrement…, etc. »

  2. Peut-être mettait-il aussi dans son œuvre les souvenirs d’un roman d’amour, ébauché à Iasnaïa en 1856, avec une jeune fille, très différente de lui, très frivole et mondaine, qu’il finit par laisser, bien qu’ils fussent sincèrement épris l’un de l’autre.