Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/76

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contemporains ! La vie même est saisie, et si souple, si fluide que, d’une ligne à l’autre, il semble qu’on la voie palpiter et changer. — La princesse Marie, la laide, belle par la bonté, n’est pas une peinture moins parfaite ; mais comme elle eût rougi, la fille timide et gauche, comme elles rougiront, celles qui lui ressemblent, en voyant dévoilés tous les secrets d’un cœur, qui se cache peureusement aux regards !

En général, les caractères de femmes sont, comme je l’indiquais, très supérieurs aux caractères d’hommes, surtout à ceux des deux héros où Tolstoï a mis sa pensée propre : la nature molle et faible de Pierre Besoukhov, la nature ardente et sèche du prince André Bolkonski. Ce sont des âmes qui manquent de centre ; elles oscillent perpétuellement, plutôt qu’elles n’évoluent ; elles vont d’un pôle à l’autre, sans jamais avancer. On répondra sans doute qu’en cela elles sont bien russes. Je remarquerai pourtant que des Russes ont fait les mêmes critiques. C’est à ce propos que Tourgueniev reprochait à la psychologie de Tolstoï de rester stationnaire. « Pas de vrai développement. D’éternelles hésitations, des vibrations du sentiment[1]. » Tolstoï convenait lui-même qu’il avait un peu sacrifié, par moments, les caractères individuels[2] à la fresque historique.

Et la gloire, en effet, de Guerre et Paix est dans

  1. Lettre du 2 février 1868, citée par Birukov.
  2. Notamment, disait-il, celui du prince André, dans la première partie.