Page:Rolland - Vie de Tolstoï.djvu/78

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grandes ailes de Guerre et Paix. Tolstoï n’a déjà plus la même joie à créer. La quiétude passagère des premiers temps du mariage a disparu. Dans le cercle enchanté de l’amour et de l’art, que la comtesse Tolstoï a tracé autour de lui, recommencent à se glisser les inquiétudes morales.

Déjà, dans les premiers chapitres de Guerre et Paix, un an après le mariage, les confidences du prince André à Pierre, au sujet du mariage, marquaient le désenchantement de l’homme qui voit dans la femme aimée l’étrangère, l’innocente ennemie, l’obstacle involontaire à son développement moral. Des lettres de 1865 annoncent le prochain retour des tourments religieux. Ce ne sont encore que de brèves menaces, qu’efface le bonheur de vivre. Mais dans les mois où Tolstoï termine Guerre et Paix, en 1869, voici une secousse plus grave :

Il avait quitté les siens, pour quelques jours, il visitait un domaine. Une nuit, il était couché ; deux heures du matin venaient de sonner :

J’étais terriblement fatigué, j’avais sommeil et me sentais assez bien. Tout d’un coup, je fus saisi d’une telle angoisse, d’un tel effroi que jamais je n’ai éprouvé rien de pareil. Je te raconterai cela en détail[1] : c’était vraiment épouvantable. Je sautai du lit et ordonnai d’atteler. Pendant qu’on attelait, je m’en-

  1. Lettre à sa femme (archives de la comtesse Tolstoï), citée par Birukov (Vie et Œuvre).