Page:Rolland Clerambault.djvu/106

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— Elle engage à y céder, dit Clerambault. Au lieu de soutenir ceux qui nagent et de leur crier : « Luttez contre le flot ! » elle dit : « Laissez-vous emporter ! » Non, mon ami, ne tentez pas de diminuer sa responsabilité. Elle est plus lourde que toute autre, car notre pensée était mieux placée pour voir, son office était de veiller ; et si elle n’a point vu, c’est qu’elle n’a point voulu. Elle ne peut accuser ses yeux : ses yeux sont bons. Vous le savez bien, vous, et je le sais aussi, maintenant que je me suis ressaisi. Cette même intelligence qui me bandait les yeux, c’est elle qui vient de m’arracher le bandeau. Comment peut-elle être, à la fois, un pouvoir de mensonge et un pouvoir de vérité ?

Perrotin branla la tête :

— Oui, l’intelligence est si grande et si haute qu’elle ne peut, sans déchoir, se mettre au service d’autres forces. Il faut tout lui donner. Dès qu’elle n’est plus libre et maîtresse, elle s’avilit. C’est le Grec dégradé par le Romain, son maître, et supérieur à lui, obligé de se faire son pourvoyeur. Graeculus. Le sophiste. Le laeno… Le vulgaire entend user de l’intelligence comme d’une domestique à tout faire, Elle s’en acquitte avec l’habileté malhonnête et rouée de cette espèce. Tantôt elle est aux gages de la haine, de l’orgueil, ou de l’intérêt. L’intelligence flatte ces petits monstres, elle les habille en idéalisme, amour, foi, liberté, générosité sociale : (quand un homme n’aime pas les hommes, il dit qu’il aime Dieu, la Patrie, ou bien l’Humanité.) Tantôt le pauvre maître de l’intel-