Page:Rolland Clerambault.djvu/118

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meurtrières. L’homme voit dans les Idées, pour lesquelles il combat, sa supériorité d’homme. Et j’y vois sa folie. L’idéalisme guerrier est une maladie qui lui est propre. Ses effets sont pareils à l’alcoolisme. Il centuple la méchanceté et la criminalité. Son intoxication détériore le cerveau. Il le peuple d’hallucinations et il y sacrifie les vivants…

L’extraordinaire spectacle, vu de l’intérieur des crânes ! Une ruée de fantômes, qui fument des cerveaux fiévreux : Justice, Liberté, Droit, Patrie… Tous ces pauvres cerveaux également sincères, tous accusant les autres de ne l’être point ! De cette lutte fantastique entre des ombres légendaires, on ne voit rien au dehors que les convulsions et les cris de l’animal humain, possédé par les troupeaux de démons… Au-dessus des nuées chargées d’éclairs, où combattent de grands oiseaux furieux, les réalistes, les gens d’affaires, comme des poux dans une toison, grouillent et rongent : gueules avides, mains rapaces, excitant sournoisement les folies qu’ils exploitent, sans les partager…

O Pensée, fleur monstrueuse et splendide, qui pousse sur l’humus des instincts séculaires !… Tu es un élément. Tu pénètres l’homme, tu l’imprègnes ; mais tu ne viens pas de lui. Ta source lui échappe et ta force le dépasse. — Les sens de l’homme sont à peu près adaptés à son usage pratique. Sa pensée ne l’est point. Elle le déborde et elle l’affole. Quelques êtres, en nombre infiniment restreint, réussissent à se diriger sur ce torrent. Mais il entraîne l’énorme masse, au hasard, à toute volée. Sa puissance formidable n’est