Page:Rolland Clerambault.djvu/210

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protestèrent qu’avec ou sans étiquette une pensée libre devait être accueillie, et que celle de Clerambault, si ignorante qu’elle fût de la doctrine, était plus vraiment socialiste que celle de socialistes associés à l’œuvre de tuerie nationale. On passa outre ; et l’article de Clerambault lui fut, après avoir dormi quelques semaines au fond d’un tiroir, rendu, sous prétexte que l’actualité était exigeante et qu’on avait trop de copie.

Clerambault porta l’article à une petite revue, plus attiré par son renom littéraire que par ses idées. Le résultat fut que la revue fut fauchée, suspendue par arrêté de police, le lendemain de la parution de l’article, blanchi pourtant jusqu’à la corde.

Clerambault s’entêta. Il n’est pires révoltés que, si on les y force, ceux qui ont été soumis toute leur vie. J’ai souvenir d’avoir vu, une fois, un grand mouton qui, harcelé par un chien, finit par foncer sur lui ; et le chien, atterré par ce renversement inattendu des lois de la nature, s’enfuit en aboyant, de stupeur et de peur. Le chien-État est trop sûr de ses crocs, pour s’inquiéter de quelques moutons révoltés. Mais le mouton Clerambault ne mesurait plus l’obstacle : il donnait de la tête à tort et à travers. Le propre des cœurs faibles et généreux est de passer sans transition d’une exagération à l’autre. De l’excès du sentiment grégaire Clerambault avait sauté, d’un bond, à l’excès de l’individualisme isolé. Parce qu’il le connaissait bien, il ne voyait plus partout que le fléau de l’obéissance, cette suggestion sociale, dont les effets s’étalaient