Page:Rolland Clerambault.djvu/266

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Regardez bien ! Faites le compte de ces dures années ! Vous avez combattu, souffert pour la patrie. Et qu’avez-vous gagné ? Vous avez découvert la fraternité des peuples qui se battent et qui souffrent. Est-ce trop payé ? Non, si vous laissez parler votre cœur, si vous osez l’ouvrir à la foi nouvelle qui est venue à vous, quand vous ne l’attendiez pas.

Ce qui trompe et ce qui désespère, c’est qu’on reste attaché au but qu’on avait, en commençant ; et, lorsqu’on n’y croit plus, on pense que tout est perdu. Or, jamais une grande action ne produit l’effet qu’on s’en proposait. Et c’est tant mieux, car presque toujours l’effet produit dépasse l’effet prévu, et est tout autre que lui, La sagesse n’est pas de partir avec la sagesse toute faite, mais de la cueillir sincèrement, le long de sa route. Vous n’êtes plus les mêmes hommes aujourd’hui qu’en 1914. Osez vous l’avouer ! Osez l’être ! Ce sera le gain principal — le seul peut-être, — de cette guerre… Mais oserez-vous vraiment ? Tant de raisons conspirent à vous intimider : la fatigue de ces années, les habitudes anciennes, la peur de l’effort à faire pour regarder en vous, éliminer ce qui est mort, affirmer ce qui est vivant, on ne sait quel respect superstitieux du vieux, une préférence lassée pour ce qu’on connaît déjà, même mauvais, même mortel, ce besoin paresseux de facile clarté qui fait que l’on revient à l’ornière tracée, plutôt que de chercher à s’ouvrir une voie nouvelle ! L’idéal de la plupart des Français n’est-il pas de recevoir, dès l’enfance, leur plan de vie tout fait, et de n’en plus changer !… Ah !