Page:Rolland Clerambault.djvu/49

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Et, là-bas, comme ici, leurs dieux les escortaient : Patrie, Justice, Droit, Liberté, Progrès du monde, rêves Édéniques de l’humanité renouvelée, — toute la fantasmagorie d’idées mystiques dont s’enveloppent les passions des jeunes gens. Aucun d’eux ne doutait que sa cause ne fût la bonne. À d’autres, de discuter ! Ils étaient la preuve vivante. Qui donne sa vie se passe d’autre argument.

Mais les hommes plus âgés, qui restaient en arrière, n’avaient pas leurs raisons pour s’abstenir de la raison. Elle leur était confiée, afin qu’ils en usassent, non pour la vérité, mais bien pour la victoire. Dans les guerres d’aujourd’hui, qui englobent les peuples entiers, la pensée est enrôlée ; aussi bien que les canons, la pensée tue ; elle tue l’âme ; elle tue au delà des mers, elle tue au delà des siècles : c’est la grosse artillerie, qui travaille à distance. Tout naturellement, Clerambault pointait ses pièces. La question n’était déjà plus pour lui de voir clair, de voir large, d’embrasser l’horizon, mais de viser l’ennemi. Il avait l’illusion de secourir son fils.

Avec une inconsciente et fiévreuse mauvaise foi, qu’entretenait son affection, il quémanda dans tout ce qu’il voyait, entendait ou lisait, des arguments pour étayer sa volonté de croire en la sainteté de la cause. Tout ce qui pouvait prouver que l’ennemi seul avait voulu la guerre, que l’ennemi seul était l’ennemi de la paix, que faire la guerre à l’ennemi c’était encore vouloir la paix. Les preuves ne manquaient pas. Elles ne manquent jamais. Ouvrir, fermer les yeux, à propos, tout