Page:Rolland Clerambault.djvu/52

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Paris et d’ailleurs. C’étaient les héros d’Homère. Mais ils ne se battaient point. Ils n’en criaient que mieux. On n’insultait pas seulement l’adversaire, on insultait son père, ses grands-pères, sa lignée tout entière ; on fit mieux, on nia son passé. Le plus infime académicien travaillait avec rage à diffamer la gloire des grands hommes endormis dans la paix du tombeau.

Clerambault écoutait, écoutait, absorbait… Il était pourtant un des rares poètes français qui eussent, avant la guerre, des relations européennes et dont l’œuvre eût trouvé des sympathies en Allemagne. À la vérité, il ne parlait aucune langue étrangère, en bon vieil enfant gâté de France, qui ne se donne point la peine d’aller faire visite aux autres, sûr qu’on viendra chez lui. Du moins, il les recevait bien, son esprit était dénué de partis pris nationaux, et l’intuition du cœur suppléait aux lacunes de l’instruction pour lui faire prodiguer sans compter son admiration aux génies étrangers. Mais à présent qu’on lui apprenait qu’il fallait se méfier de tout, (« Taisez-vous ! Méfiez-vous ! »), que Kant menait à Krupp, il n’osait plus admirer sans garantie officielle. La sympathique modestie, qui lui faisait, en temps de paix, respectueusement accepter, comme parole d’Évangile, ce que publiaient les hommes instruits et considérés, avait pris, en temps de guerre, les proportions d’une fabuleuse crédulité. Il gobait, sans faire : « ouf ! » les étranges découvertes dont s’avisaient à présent les intellectuels de son pays, fouillant et piétinant l’art, la science, l’intelligence, l’âme de l’autre pays, au cours des siècles, — ce travail