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II

LE THÉÂTRE NOUVEAU
CONDITIONS MATÉRIELLES ET MORALES


Tel est l’historique rapide des tentatives faites en France pour fonder le Théâtre du Peuple. Elles se rattachent directement, comme on voit, à la grande tradition démocratique des penseurs du dix-huitième siècle et des hommes de la Convention. — Quel sera ce théâtre ?

Les conditions économiques ont été étudiées de la façon la plus complète par Eugène Morel. Je ne suis pas d’accord avec Morel sur beaucoup de questions. Morel croit au théâtre en soi, et à la foule en soi. « Plus il y a de théâtres, plus c’est bien. Plus il y a de monde, plus c’est bien. Je ne regarde pas à la qualité, mais à la quantité. »[1] Et pour moi, au contraire, je ne regarde qu’à la qualité, et point à la quantité. Je ne crois au théâtre que s’il a un idéal. Je ne me soucierais plus du peuple, s’il devait devenir une seconde bourgeoisie, aussi grossière dans ses jouissances, aussi hypocrite dans sa morale, aussi stupide et aussi apathique que la première. Peu m’importerait de prolonger alors un art qui ne serait qu’un néant sonore, et une humanité qui sent le cadavre. — Mais si je crois beaucoup moins que Morel en la valeur absolue de l’art, et beaucoup plus que lui en une révolution morale et sociale de l’huma-

  1. Lettre d’Eugène Morel à Georges Bourdon. — Revue bleue, 10 mai 1902.
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