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le théâtre nouveau

pour elle. Évitons surtout les prêches et les morales, grâce auxquels les amis du peuple ont l’art de rendre l’art rebutant à ceux qui l’aiment le plus. Le théâtre populaire doit éviter deux excès opposés, qui lui sont coutumiers : la pédagogie morale, qui, des œuvres vivantes, extrait de froides leçons, — ce qui est à la fois antiesthétique et maladroit ; car l’esprit défiant sent l’hameçon et s’en détourne ; — et le dilettantisme indifférent, qui veut se faire uniquement, et à tout prix, l’amuseur du peuple : jeu déshonorant, dont le peuple ne sait pas toujours gré, car il est capable de juger ses amuseurs, et il entre souvent du mépris dans le rire dont il accueille leurs contorsions, aux lectures populaires. — Ni recherche de la morale, ni recherche du plaisir. De la santé. La morale n’est qu’une hygiène de l’esprit et du cœur.[1] Faites-nous un théâtre qui déborde de santé et de joie. — « La joie, ressort puissant de l’éter-

  1. « Le bien-être ineffable que nous éprouvons, lorsque nous nous sentons parfaitement sains de corps et d’esprit. »
    (Schiller à Goethe, 7 janvier 1795)

    Il est remarquable que les génies les plus populaires, ceux qu’on se plaît à regarder comme les plus moraux de tous, sont aussi ceux qui ont parlé le plus librement et dédaigneusement de la morale :

    « La belle et saine nature humaine, ainsi que vous le dites, n’a besoin ni de morale, ni de droit naturel, ni de métaphysique politique : vous auriez pu ajouter qu’elle n’a même pas besoin de s’appuyer sur la divinité ni sur l’immortalité. »

    (Schiller à Goethe, 9 juillet 1796)

    « J’ai senti de nouveau tout ce qu’il y a de vide dans ce qu’on appelle la moralité. »

    (Schiller à Goethe, 27 février 1798)

    « Hier, avec tes sermons, Zmeskall, tu m’as rendu tout triste. Que le diable te torde le cou, je ne veux rien avoir à faire avec ta morale. La force, l’énergie, voilà la morale des gens qui se distinguent du commun des mortels. C’est aussi la mienne. »

    Beethoven
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