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CONDITIONS MATÉRIELLES ET MORALES

Je rappelle le mot de Michelet : « Un théâtre simple et fort, où la puissance créatrice du cœur, la jeune imagination des populations toutes neuves nous dispensent de tant de moyens matériels, décorations prestigieuses, etc., sans lesquels les faibles dramaturges de ce temps usé ne peuvent plus faire un pas. » L’art aurait tout à gagner à se délivrer de ce luxe enfantin, dont il est esclave, et qui n’a de prix que pour les cerveaux ratatinés de mondains puérils et vieillots, qui ne peuvent pas sentir l’émotion vraie de l’art. Certaines représentations de l’Œuvre des Trente ans de Théâtre se passent fort bien de décors ; et de simples répétitions sans décors ni costumes produisent souvent une impression cent fois plus poignante et plus réelle, que les représentations les mieux réussies. J’en ai fait souvent l’expérience, aussi bien dans nos théâtres parisiens, que dans les théâtres du peuple, comme celui de Bussang. Le décor est une convention, dont seuls sont dupes ceux qui sont excessivement naïfs, et ceux qui le sont excessivement peu. Ceux-ci ne m’intéressent point. Pour ceux-là, il ne faut pas croire que le peuple en ait le monopole ; le peuple est plus simple, mais il n’est pas plus naïf que nous. La naïveté est, ou un don très rare, accordé par la nature, ou, dans le cas spécial qui nous occupe, le fait de gens qui n’ont pas l’habitude d’aller au théâtre. Or nous prétendons justement que le peuple ait cette habitude, ou qu’il la prenne. Inutile par conséquent d’escompter sa naïveté : en l’an 1903, le plus naïf des publics est encore celui qui se presse, tous les soirs, sur nos boulevards, à une comédie de M. Capus. — Au reste, je ne fais point la guerre aux décors, ni aux costumes, mais à leur luxe scandaleux et inutile, que

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