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L’ŒUVRE DES TRENTE ANS DE THÉÂTRE

écouta avec une grande attention, avec intelligence, même avec intérêt, mais sans beaucoup de plaisir. Au reste, j’eus l’impression très nette que le public se surveillait et ne montrait pas le fond de sa pensée. Il me semblait, vis-à-vis de Molière et de la Comédie française, dans la situation de petites gens bien élevées, qui reçoivent la visite d’hôtes qui leur sont supérieurs par la situation sociale, ou l’illustration du nom. Ils sont reconnaissants et flattés de l’attention. Ils s’appliquent à les recevoir poliment, se gardent bien de dire s’ils s’ennuient, et applaudissent comme il faut, après que leurs hôtes ont parlé. Mais il ne faudrait pas, je crois, recommencer l’épreuve trop souvent. Et mon impression est ici d’accord avec l’expérience d’un des directeurs des théâtres des faubourgs, M. Larochelle fils, qui disait à M. Bernheim : « Molière et Racine ne réussiront dans nos quartiers, que s’ils sont joués par la Comédie française, et encore pas trop souvent. Croyez-moi. Gardez-vous bien de multiplier ces représentations classiques. Une par saison, dans chaque quartier, c’est-à-dire deux par année, et nous serons largement satisfaits. »[1] Mais deux représentations par an font-elles un Théâtre du Peuple ? Et si ces représentations sont telles que celle que je viens de décrire, sont-ce même là des représentations populaires ?

La représentation de Bérénice au même théâtre Trianon, — vingt-cinquième gala populaire, 17 juin 1903, — est peut-être encore plus caractéristique. Presque toutes les places. — toutes les places de fauteuils et de loges, sans exception. — étaient louées plusieurs jours à l’avance ; et

  1. Le Temps, 12 février 1903.
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