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92 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

Ils l'ont fait sortir des formules apprises, et ont ramené les re- gards des artistes à la seule observation de la nature. C'est véri- tablement une Renaissance qui s'ouvre au dix-septième siècle avec Monteverde, une Renaissance du cœur dans la langue musicale.

Dès ses premières œuvres, Monteverde mit en pratique ces théories. Les critiques de ses ennemis nous l'apprennent. Il avait fait des études assidues de l'expression des passions, et des rap- ports entre les mouvements de l'âme et les phrases musicales. Vecchi et Gaccini en avaient fait autant; mais tous deux avec les voix, et l'un en madrigaux, l'autre en style monodique. Monte- verde est plus libre; il étudie les instruments (et ceci est bien instructif); c'est sur eux qu' « il s'évertue jour et nuit, à écouter et chercher les effets (1). » La voix n'est plus seulement la voix, c'est l'âme. Monteverde est déjà loin de Péri. Ce n'est plus de simple déclamation tragique et d'accent noté qu'il s'agit, mais des tragédies du cœur. La justesse du récitatif y perd peut-être un peu ; la poésie est parfois maltraitée (2) ; mais l'âme parle direc- tement à l'âme, et les ignorants mômes sentent vibrer en eux l'écho des passions et des peines. La musique a reconnu son domaine; elle vient avec Monteverde, d'affirmer sa prise de pos- session sur le monde intérieur, dont la parole déclamée, et même le chant récitatif, n'est qu'un pâle reflet.

Ainsi l'observation et 1' « imitation » des passions (non pas seulement de la parole passionnée) est l'essence de la musique nouvelle. Elle ne s'attache donc pas servilement au texte , mais elle lit au fond de sa pensée. Péri et les Florentins ont raison de

(1) « Il senso è ingannato » (le sens est perverti), a et c'est à quoi tra- vaillent gaillardement tous ces nouveaux inventeurs qui jour et nuit, s'évertuent sur les instruments, à écouter et chercher les effets. Ils ne voient pas que les instruments enseignent le faux, et qu'autre chose est cette re- cherche à tâtons des sens aveugles, autre chose celle de la raison soutenue par les sens. — Aristoxène a dit : « Maximum ergo et flagitiosum in summâ est peccatum, referre ad instrumcntum rei harmonicae naturam. » {Harmon., 1. II.) Toute leur idée est de satisfaire les sens ; ils se soucient peu de la raison. » (Artusi, II, 43 )

Il faut bien avouer que l'on sent encore aujourd'hui ces curiosités d'ins- trumentation au détriment parfois de l'unité d'impression dramatique. Ainsi dans le fameux air d'Orphée, chanté l'année dernière, au premier concert de musique historique donné par M. Bordes.

(2) « Quand on fait l'éloge de la musique « accentata, » il faudrait com- mencer par définir l'accent, ce qu'on n'a pas fait; d'ailleurs, ils font des bar- barismes et des choses contraires à la syntaxe. » {Arlusi t commencement du livre II.)

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