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152 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

ture, et dont le principal mérite est de nous faire entrevoir un curieux état moral, que l'on n'eût pas attendu de l'époque. Il en est de même en Allemagne (1).

Le plus grave est que cette exaltation de la sensibilité en amène vite la dépravation, et les spectacles romains ne tarderont pas à s'associer aux plus scandaleux dévergondages.

première représentation de l'Opéra... Les femmes et les jeunes gens savent les Opéra par cœur, et il n'y a presque pas une maison où l'on n'en chante des scènes entières. On ne parlait d'autre chose que de Cadmus, d'Alceste, de Thésée, d'Atys. On demandait souvent un Roi de Scyros , dont j'étais bien ennuyé. Il y avait aussi un « Lycas peu discret » qui m'importunait souvent. « Atys est trop heureux , » et « les bienheureux Phrygiens » me mettaient au désespoir. » (Les Opéra, acte II, scène 3.)

« Voulez-vous venir à l'Opéra? » demande la comtesse du Coquet trompé. — « Ah ! Dieu m'en garde ! » répond la marquise ; « il me fatigue à mourir : au moins je ne dis cela qu'à vous ; car ce serait un crime d'en dire autant dans le monde. Je sçai qu'il est du bel air de faire l'adorateur de la musi- que; et je sçai un de nos bons amis âgé de soixante ans, qui dernièrement me vint dire très sérieusement que dans peu il espérait sçavoir solfier. » (Baron, Le Coquet trompé. 1736. Paris, Ribou, I, 85. — Acte II, scène 9.)

« Elle s'enfuit, dit Moron, et je ne saurois l'attraper. Voilà ce que c'est : si je savais chanter, j'en ferois bien mieux mes affaires. La plupart des femmes aujourd'hui se laissent prendre par les oreilles : elles sont cause que tout le monde se mêle de musique, et l'on ne réussit auprès d'elles que par les petites chansons... Il faut que j'apprenne à chanter, pour faire comme les autres. » (Princesse d'Elide, 1664. Second intermède.)

La mauvaise humeur de La Fontaine contre Lully est forcée de convenir que le vent est maintenant à la musique, qu'il n'y en a plus que pour elle :

Le Français, pour luijseul, ^contraignant sa natur»,

N'a que pour l'opéra de passion qui dure.

Les jours de l'Opéra, de l'un à l'autre bout,

Saint-Honoré, rempli de carrosses partout,

Voit, malgré la misère à tous états commune,

Que l'opéra tout^seul fait leur bonne fortune.

11 a l'or de l'abbé, du brave, du commis;

La coquette s'y fait mener par ses amis ;

L'officier, le marchand, tout son rôle retranche

Pour y pouvoir porter tout son gain le dimanche ;

On ne va plus au bal, on ne va plus au cours.

Hiver, été, printemps, bref/opéra toujours.

Et quiconque n'en chante, ou bien plutôt n'en gronde

Quelque récitatif, n'a pas l'air du beau monde.

(Epître à M. de Nyert, 1677.)

« Qui saura comme lui chanter à table tout un dialogue de l'opéra, et les fureurs de Roland dans une ruelle? » (La Bruyère, De la, Ville.)

(1) Dans une comédie danoise de|Holberg (1724) ,|un père demande à sa fille s'il est vrai qu'elle parle aux gens en chantant, et qu'on lui réponde en phrases d'opéras de Keiser (allemands). L'auteur de la pièce avait d'abord été ami de la musique; mais l'abus de l'opéra l'en avait dégoûté.

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