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214 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

pour fuir. Les deux polissons jouent aux hommes d'honneur, et se battent. L'un deux est blessé et se sent près de mourir. L'ivrogne sorti de son sommeil, l'entend etleréconforte avecdu vin. Quelques scènes après, le mourant fait ses adieux et pardonne généreuse- ment à son adversaire. On se décide enfin à chercher sa blessure ; mais on n'en trouve pas, à la stupéfaction générale, et le poltron ressuscite. Enone s'habille en homme ; elle excite des passions parmi les jeunes filles. Paris arrive à Troie. Priam, Hécube et la cour la reçoivent avec honneur. Enone se résout à mourir. Un hymme d'amour et d'allégresse termine la pièce, — mais pas encore le spectacle, que « complètent des joutes, car- rousels, tournois, et autres jeux publics, chargés de raconter le reste de l'histoire de Troie. »

Cette pièce incohérente et d'un goût bizarre, se sauve par la franchise de sa bonne humeur; nulle prétention; une verve amusée; un besoin de s'agiter et de rire, et un talent naturel et facile, surtout dans le comique et le détail familier, qui fait qu'on lui pardonne. Malheureusement son exemple devait agir d'une singulière façon sur le cerveau allemand. Les Italiens sont des enfants gâtés à qui l'on passe tout. On est bien plus sévère pour les pauvres garçons, un peu faibles et maladroits, qui se laissent prendre à leur modèle, et imitent lourdement leurs grâces im- pertinentes. Nous pardonnons à Cavalli, Scarlatti et Bontempi, qui ont corrompu l'art ; nous avons même au fond du cœur, de la tendresse pour eux, et nous sommes sans pitié pour les victimes qu'ils font dans la musique allemande.

Cette réflexion ne nous rendra pas d'ailleurs plus indulgents.

Voici quelques exemples de l'extravagance où. le mauvais goût italien pouvait mener la pesanteur germanique :

Dans ÏErmione de Bernabei (texte de Terzago) (1683), Pyrrhus n'est pas tué par Oreste; il renonce de bonne grâce à Hermione ; Oreste la remmène. Le chœur chante un hymne d'allégresse. Un domestique, Birollo, dit des polissonneries. — Soudain, pour ter- miner, un admirable coup de théâtre. Les partis réconciliés tra- versent les jardins royaux de Sparte, pour se rendre à la messe de mariage, quand brusquement la scène change. Ménélas et Hélène, Oreste et Hermione, et toute leur suite, se trouvent transportés à la cour de Munich. Un double chœur chante avec stupéfaction, et à grand vacarme : « Che strano caso! che portenti! » Ménélas soupire : « Numi! » Mais bientôt ils retrouvent leurs esprits ; ils admirent la résidence bavaroise, et déclarent qu'ils n'ont rien vu de plus beau. Jupiter descend sur un aigle qui tient Ganymède

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