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Page:Rolland Les origines du théâtre lyrique moderne.djvu/242

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Mozart : « Dans un opéra, il faut absolument que la poésie soit la fille obéissante de la musique (1). » Ou encore : c La musique règne en souveraine et fait oublier tout le reste. » — Elle montre combien l’esprit allemand diffère du français.

A la vérité, un Italien, le premier, l’avait dit : « Comme l’âme est plus noble que le corps, les mots sont plus nobles que le contrepoint (2). » Mais c’était un lettré florentin, et les musiciens s’étaient vite chargés de ramener sa pensée à des termes plus justes. D’ailleurs, nous avons déjà annoncé la parenté du diurne récitatif de Florence avec la tragédie lyrique française, fondée par le florentin Lully. Encore l’opéra florentin a-t-il sur le nôtre la supériorité d’âme de ses artistes , leur nature plus vibrante , leur intelligence plus personnelle des passions. Saint-Evremond lui-même en convient; il ne fait qu’une exception à sa règle, et c’est pour Lully. Il le dispense d’obéir aux livrets, « parce qu’il connaît mieux les passions, et va plus avant dans le cœur de l’homme que les auteurs. » Les autres musiciens , Gambert par exemple, « ont sans doute de fort beaux génies, propres à cent musiques différentes, et toutes bien ménagées avec une juste éco- nomie des voix et des instruments. Mais pour la nature des pas- sions, pour la qualité des sentiments qu’il faut exprimer, ils doi- vent recevoir des auteurs les lumières que Lully leur sait don- ner, et s’assujettir à la direction..., etc. >

Il faut en convenir ; la musique n’est point chez nous une langue naturelle. Combien de gens en France, pour qui c’est un problème que de penser sous la forme des sons! Et combien peu de nos musiciens mêmes, dont l’art soit vraiment l’expression spontanée du cœur ! La plupart, de Jannequin (3) à Saint-Saëns, en passant par les plus grands , Rameau (4) et Berlioz, tendent à la description et à l’imitation objective. Il en est qui ne voient dans les symphonies de Beethoven qu’une suite de tableaux, des images extérieures, des orages, le vent qui souffle, les éclairs, le

(1) Lettre du 13 octobre 1781.

(2) Lettre de Bardi à Caccini (citée par Lindner : Zur Tonkunst).

(3) Voir p. 30.

(4) Rameau imite le coassement des grenouilles dans Platée, un feu d’artifice dans Acante et Céphise ; Boïeldieu, le bruit d’un soufflet attisant le feu; Gossec et Méhul font des tableaux de chasse. — Qui ne connaît les descriptions de Berlioz ? — Inutile de rappeler aussi Phaéton, le Rouet d’Omphale, et les autres poèmes descriptifs de M. Saint-Saëns. En disciple fidèle de Berlioz, il n’a pas craint de professer même, que la musique a pour fondement « l’imitation. »