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16 LES ORIGINES DU THÉÂTRE LYRIQUE MODERNE.

plus d'indulgence auprès des lettrés; il a amusé leur curiosité spirituelle par sa virtuosité ingénieuse; il n'était point redoutable d'ailleurs, et leur sembla sans doute un amusement mondain sans conséquence, dont il est mieux de rire. — Ils ont été plus rebelles aux deux autres. Bien qu'ils aient senti la puissance expressive de la déclamation, ils ne lui ont pas ménagé les critiques; le bon sens ordinaire se révoltait d'être ému par un art où l'on parlait en chantant. De leur côté, les musiciens ayant souvent le tort d'appliquer les procédés d'une déclamation étrangère à l'opéra de leur pays (1), ont fourni trop aisément prise aux reproches sou- vent répétés d'inexactitude et d'inintelligence dramatique. Nous y reviendrons au chapitre de l'opéra français qui, plus que tous les autres, a regardé la déclamation comme l'élément le plus im- portant de l'art lyrique. — Les lettrés n'ont pas moins combattu la prétention de la musique à peindre le cœur humain ; ils l'ont fait avec une aigreur non cachée et une ironie malveillante, blessés de cette intrusion sur leur propre domaine. Boileau prétend que « les passions ne peuvent être peintes en musique dans toute l'étendue qu'elles demandent; » il ajoute « que d'ailleurs elle ne saurait souvent (2) mettre en chant les expressions vraiment su- blimes et courageuses (3). » Ce jugement ne vaut tout au plus

��(1) C'est le reproche d'Addison aux Anglais (Spectateur, 23° discours), de Wagner aux Allemands (Dayreuther-Bldtter, 1875).

« La récitation musicale, » dit Addison, « doit être aussi différente dans chaque langue que l'accent naturel. » — La cadence que les Italiens obser- vent dans le récitatif, « n'est que l'accent de leur langue rendu plus musical et plus sonore. » — Il arrive que « les marques d'interrogation, ou d'admi- ration, dans la musique italienne, ont quelque rapport avec les tons natu- rels d'une voix anglaise quand nous sommes en colère... J'ai vu les audi- teurs s'y tromper et croire à une querelle quand c'était un bonjour... Un musicien doit donc s'accommoder au génie de sa nation et prendre garde que la délicatesse de l'oreille ou le goût de l'harmonie s'est formé sur les sons naturels au pays... Un musicien anglais peut chercher à copier de la récitation italienne l'agréable douceur et les chutes mourantes , comme dit Shakespeare, sans oublier qu'il doit s'accommoder à un auditoire anglais. » (Addison, 23" discours.)

(2) Le mot « souvent » est un peu équivoque ; j'imagine que sans nier la possibilité pour la musique de rendre ces sentiments, il croit que ses moyens sont assez limités et qu'elle ne saurait s'y attarder sans fatigue et ennui.

(3) Musique : Aux doux transports qu'Apollon vous inspire

Je crois pouvoir mêler la douceur de mes chants. Poésie : Oui, vous pouvez, au bord d'une fontaine, Avec moi soupirer une amoureuse peine, Faire gémir Thyrsis, faire plaindre Clymène.

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