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Romain Rolland

choses : la misère, les maladies, les injustices du sort, les méchancetés des hommes. Tantôt elle a son foyer dans l’être même. Elle n’est pas alors moins pitoyable, ni moins fatale ; car on n’a pas eu le choix de son être, on n’a demandé ni à vivre, ni à être ce qu’on est.

Cette dernière souffrance fut celle de Michel-Ange. Il eut la force, il eut le bonheur rare d’être taillé pour lutter et pour vaincre, il vainquit. — Mais quoi ? Il ne voulait pas de la victoire. Ce n’était pas là ce qu’il voulait. — Tragédie d’Hamlet ! Contradiction poignante entre un génie héroïque et une volonté qui ne l’était pas, entre des passions impérieuses et une volonté qui ne voulait pas !

Qu’on n’attende pas de nous qu’après tant d’autres nous voyions là une grandeur de plus ! Jamais nous ne dirons que c’est parce qu’un homme est trop grand, que le monde ne lui suffit pas. L’inquiétude d’esprit n’est pas un signe de grandeur. Tout manque d’harmonie entre l’être et les choses, entre la vie et ses lois, même chez les grands hommes, ne tient pas à leur grandeur : il tient à leur faiblesse. — Pourquoi chercher à cacher cette faiblesse ? Celui qui est plus faible est-il moins digne d’amour ? — Il en est bien plus digne, car il en a plus besoin. Je n’élève point des statues de héros inaccessibles. Je hais l’idéalisme couard, qui détourne les yeux des misères de la vie et des faiblesses de l’âme. Il faut le dire à un peuple trop sensible aux illusions décevantes des paroles sonores : le mensonge héroïque est

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