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la vie de Michel-Ange

dans les cercles littéraires et connus de toute l’Italie.[1] On a dit du sonnet suivant qu’il était « la plus belle poésie lyrique de l’Italie, au seizième siècle » :[2]

Avec vos beaux yeux je vois une douce lumière, que je ne peux plus voir avec mes yeux aveugles. Vos pieds m’aident à porter un fardeau, que mes pieds perclus ne peuvent plus soutenir. Par votre esprit, au ciel je me sens élevé. En votre volonté est toute ma volonté. Mes pensées se forment dans votre cœur, et mes paroles dans votre souffle. Abandonné à moi-même, je suis comme la lune, que l’on ne peut voir au ciel qu’autant que le soleil l’éclaire.[3]

Plus célèbre encore est cet autre sonnet, un des plus beaux chants qu’on ait jamais écrits en l’honneur de l’amitié parfaite :

Si un chaste amour, si une piété supérieure, si une fortune égale existe entre deux amants, si le sort cruel qui frappe l’un frappe aussi l’autre, si un seul esprit, si une seule volonté gouverne deux cœurs, si une âme en deux corps s’est faite éternelle, emportant tous les deux au ciel avec les mêmes ailes, si l’amour d’un seul coup, de sa flèche dorée, perce et brûle les entrailles de tous deux à la fois, si
  1. Varchi en commenta deux en public, et il les publia dans ses Due Lezzioni. — Michel-Ange ne faisait pas mystère de son amour. Il en parlait à Bartolommeo Angiolini, à Sébastien del Piombo. De telles amitiés ne surprenaient personne. Quand mourut Cecchino del Bracci, Riccio cria son amour et son désespoir à tous : « Ah ! mon ami Donato ! Notre Cecchino est mort. Tout Rome pleure, Michel-Ange fait pour moi le dessin d’un monument. Écrivez-moi, je vous prie, l’épitaphe, et envoyez-moi une lettre consolante : mon chagrin m’a perdu l’esprit. Patience ! Je vis avec mille et mille morts en chaque heure. Ô Dieu ! Comme la Fortune a changé d’aspect ! » (Lettre à Donato Giannotti. Janvier 1544) — « Dans mon sein, je portais mille âmes d’amants », fait dire Michel-Ange à Cecchino dans une de ses épigrammes funéraires. (Poésies, édition Frey, LXXIII, 12)
  2. Scheffler.
  3. Poésies, CIX, 19. Voir aux Annexes, XIV.
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