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la vie de Michel-Ange

le Christ herculéen a rejeté avec furie la lourde dalle du tombeau ; il a encore une jambe dans la fosse, et, la tête levée, les bras levés, il se précipite vers le ciel, dans un élan de passion, qui rappelle un des Captifs du Louvre. Retourner à Dieu ! Quitter ce monde, ces hommes, qu’il ne regarde même pas, et qui rampent à ses pieds, stupides, épouvantés ! S’arracher au dégoût de cette vie, enfin, enfin !… — Le dessin du British Museum a plus de sérénité. Le Christ est sorti du tombeau : il plane, son corps vigoureux flotte dans l’air qui le caresse ; les bras croisés, la tête renversée en arrière, les yeux fermés, en extase, il monte dans la lumière, comme un rayon de soleil.

Ainsi Vittoria rouvrit à l’art de Michel-Ange le monde de la foi. Elle fit plus encore : elle donna l’essor à son génie poétique, que l’amour de Cavalieri avait réveillé.[1] Non seulement elle l’éclaira sur les révélations

  1. C’est alors que Michel-Ange pensa à publier un recueil de ses poésies. Ses amis Luigi del Riccio et Donalo Giannotti lui en donnèrent l’idée. Jusque-là, il n’avait pas attaché grande importance à ce qu’il écrivait. Giannotti s’occupa de cette publication, vers 1545. Michel-Ange fit un choix parmi ses vers ; et ses amis les recopièrent. Mais la mort de Riccio, en 1546, et de Vittoria, en 1547, le détourna de cette idée, qui lui sembla une vanité dernière. Ses poésies ne furent pas publiées de son vivant, sauf un petit nombre, qui parurent dans des ouvrages de Varchi, Giannotti, Vasari, etc. Mais elles circulaient de main en main. Les plus grands compositeurs : Archadelt, Tromboncino, Consilium, Costanzo Festa, les mirent en musique. Varchi lut et commenta un des sonnets, en 1540, devant l’Académie de Florence. Il y trouvait « la pureté antique et la plénitude de pensées de Dante ».

    Michel-Ange était nourri de Dante. « Personne ne le comprenait mieux, dit Giannotti, et ne possédait plus parfaitement son œuvre. » Personne ne lui a adressé un plus magnifique hommage que le beau sonnet : « Dal ciel discese… » (Poésies, CIX, 37) — Il ne connaissait pas moins Pétrarque, Cavalcanti, Cino da Pistoja, et les classiques de la poésie italienne. Son style en était forgé. Mais le sentiment qui vivifiait tout était son ardent idéalisme platonicien.

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