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la vie de Michel-Ange

accepter de présents de personne »,[1] même de ceux qu’il aimait le mieux, refusait de lui faire ce plaisir.

Elle mourut. Il la vit mourir, et il dit ce mot touchant, qui montre quelle chaste réserve avait gardée leur grand amour :

« Rien ne me désole tant que de penser que je l’ai vue morte, et que je ne lui ai pas baisé le front et le visage, comme j’ai baisé sa main. »[2]

« Cette mort, — dit Condivi, — le rendit pour longtemps tout à fait stupide : il semblait avoir perdu le sens. »

« Elle me voulait un très grand bien, disait-il tristement plus tard, et moi de même. (Mi voleva grandissimo bene, e io non meno a lei.) La mort m’a ravi un grand ami. »

Il écrivit sur cette mort deux sonnets. L’un, tout imprégné de l’esprit platonicien, est d’une rude préciosité, d’un idéalisme halluciné ; il semble une nuit sillonnée d’éclairs. Michel-Ange compare Vittoria au marteau du sculpteur divin, qui fait jaillir de la matière les sublimes pensées :

Si mon rude marteau façonne les durs rochers tantôt à une image et tantôt à une autre, c’est de la main qui le tient, le conduit et le guide, qu’il reçoit le mouvement ; il va, poussé par une force étrangère. Mais le marteau divin qui dans le ciel se dresse, crée sa propre beauté et la beauté des autres par son unique force. Aucun autre marteau ne peut se

  1. Vasari. — Il se brouilla, pour un temps, avec un de ses plus chers amis, Luigi del Riccio, parce que celui-ci lui faisait des présents, malgré lui :

    « Je suis plus oppressé, lui écrit-il, par ton extrême bonté, que si tu me volais. Il faut de l’égalité entre amis : si l’un donne plus, et l’autre moins, alors on en vient au combat ; et si l’un est vainqueur, l’autre ne le pardonne pas. »

  2. Condivi.
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