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LA FORCE QUI SE BRISE

Ce ne fut qu’un instant : le cours orageux de sa vie reprit presque aussitôt ; il retomba dans la nuit.

Le nouveau pape, Léon X, entreprit d’enlever Michel-Ange à la glorification de son prédécesseur et de l’attacher au triomphe de sa maison. C’était pour lui une question d’orgueil, plus que de sympathie ; car son esprit épicurien ne pouvait comprendre le triste génie de Michel-Ange :[1] toutes ses faveurs étaient pour Raphaël. Mais l’homme de la Sixtine était une gloire italienne : Léon X voulut la domestiquer.

Il offrit à Michel-Ange d’élever la façade de Saint-Laurent, l’église des Médicis, à Florence. Michel-Ange, stimulé par sa rivalité avec Raphaël, qui avait profité de son éloignement pour devenir à Rome le souverain de l’art,[2] se laissa entraîner dans cette nouvelle tâche, qu’il lui était matériellement impossible d’accomplir sans négliger l’ancienne, et qui devait être pour lui une cause de tourments sans fin. Il tâchait de se persuader qu’il pourrait mener de front le tombeau de Jules II et la façade de Saint-Laurent. Il comptait se décharger

  1. Il ne lui épargnait pas les démonstrations de tendresse ; mais Michel-Ange lui faisait peur. Il se sentait mal à l’aise avec lui :

    « Quand le pape parle de vous, écrit Sébastien del Piombo à Michel-Ange, il semble qu’il parle d’un de ses frères ; il a presque les larmes aux yeux. Il m’a dit que vous avez été élevés ensemble, et il proteste qu’il vous connaît et qu’il vous aime : mais vous faites peur à tous, — même aux papes. » (27 octobre 1520)

    On se moquait de Michel-Ange à la cour de Léon X. Il prêtait à la raillerie par ses imprudences de langage. Une malencontreuse lettre qu’il écrivit au cardinal Bibbiena, patron de Raphaël, fit la joie de ses ennemis. « On ne parle pas d’autre chose au palais que de votre lettre, dit Sébastien à Michel-Ange ; elle fait rire tout le monde. » (3 juillet 1520)

  2. Bramante était mort en 1514. Raphaël venait d’être nommé surintendant de la construction de Saint-Pierre.
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