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LA FORCE QUI SE BRISE

plus rien à présent, avec mes autres soucis ; et tous ces soucis, je les ai par amour pour vous ! Vous m’en récompensez bien !… Mais qu’il en soit ce qui voudra : je veux me persuader à moi-même que je n’ai jamais cessé de vous causer honte et dommage ; et je vous en demande pardon, comme si je l’avais fait. Pardonnez-moi, comme à un fils qui a toujours mal vécu et qui vous a fait tout le mal qu’on peut faire en ce monde. Encore une fois, je vous en prie, pardonnez-moi comme à un misérable que je suis ; mais ne me donnez pas cette réputation que je vous aurais chassé ; car ma réputation m’importe plus que vous ne croyez : malgré tout, je suis pourtant votre fils !

Tant d’amour et d’humilité ne désarmait qu’un instant l’esprit aigri du vieillard. Quelque temps après, il accusait son fils de le voler. Michel-Ange, poussé à bout, lui écrivit :[1]

Je ne sais plus ce que vous voulez de moi. S’il vous est à charge que je vive, vous avez trouvé le bon moyen pour vous débarrasser de moi, et vous rentrerez bientôt en possession des clefs du trésor que vous prétendez que je garde. Et vous ferez bien ; car chacun sait à Florence que vous étiez un homme immensément riche, que je vous ai toujours volé et que je mérite d’être châtié : vous serez hautement loué !… Dites et criez de moi tout ce que vous voulez, mais ne m’écrivez plus ; car vous ne me laissez plus travailler. Vous me forcez à vous rappeler tout ce que vous avez reçu de moi, depuis vingt-cinq ans. Je ne voudrais pas le dire ; mais je suis bien forcé de le dire, à la fin !… Prenez bien garde… On ne meurt qu’une fois, et on ne revient plus après, pour réparer les injustices qu’on a faites. Vous avez attendu jusqu’à la veille de la mort pour les faire. Dieu vous aide !

Tel était le secours qu’il trouvait chez les siens.

  1. Lettres (juin 1523).
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