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la vie de Michel-Ange

terminés en 1531.[1] Suprême ironie ! Personne ne les comprit. Un Giovanni Strozzi, voyant la formidable Nuit, faisait des concetti :

La Nuit, que tu vois si gracieusement dormir, fut sculptée par un Ange dans ce rocher ; et, puisqu’elle dort, elle vit. Si tu ne le crois, éveille-la, et elle te parlera.

Michel-Ange répondit :

Le sommeil m’est cher. Il m’est plus cher encore d’être de pierre, tandis que le crime et la honte durent. Ne pas voir, ne pas entendre m’est grand bonheur : c’est pourquoi, ne m’éveille pas, ah ! parle bas !

Caro m’ è ’l sonno et piu l’esser di sasso,
Mentre che ’l danno et la vergogna dura.
Non veder, non sentir m’è gran ventura ;
Pero non mi destar, deh ! parla basso.[2]

On dort donc dans le ciel, s’écriait-il dans une autre poésie, puisqu’un seul s’approprie ce qui était le bien de tant d’hommes !

Et Florence asservie répond à ses gémissements :[3]

Ne soyez pas troublés dans vos saintes pensées. Celui qui croit vous avoir dépouillés de moi, ne jouit pas de son grand crime à cause de sa grand peur. Moindre joie est pour les amants la plénitude de la jouissance qui éteint le désir, que la misère, grosse d’espérance.[4]

  1. La Nuit fut sculptée probablement dans l’automne de 1530 ; elle était terminée au printemps de 1531 ; l’Aurore, en septembre 1531 ; le Crépuscule et le Jour, un peu après. — Voir Dr  Ernst Steinmann : Das Geheimnis der Medicigräber Michel Angelos, 1907, Hiersemann, Leipzig.
  2. Poésies, CIX, 16, 17. — Frey les date de 1545.
  3. Michel-Ange imagine un dialogue entre Florence et les Florentins bannis.
  4. Poésies, CIX, 48. Voir aux Annexes, VII.
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