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SOUVENIR DE LA CREUSE


Tandis qu’au soleil lourd la campagne d’automne
Filait inertement son rêve de stupeur,
Nous traversions la brande aride et monotone
Où le merle envahi du spleen enveloppeur
Avait un vol furtif et tremblotant de peur.
Nous longions un pacage, un taillis, une vigne ;
Puis au fond du ravin que la ronce égratigne
Apparaissait la Creuse aux abords malaisés :
Alors tu t’asseyais, et j’apprêtais ma ligne
À l’ombre des coteaux rocailleux et boisés.

Lorsque j’avais trouvé dans l’onde qui moutonne,
Près d’un rocher garni d’écume et de vapeur,
L’endroit où le goujon folâtre et se cantonne,
Je fouettais le courant de mon fil agrippeur,
Et bientôt le poisson mordait l’appât trompeur.
Toi, sous un châtaignier majestueux et digne,
Aux coincoins du canard qui nageait comme un cygne,
Rêveuse, tu croquais des sites apaisés ;
Et je venais te voir quand tu me faisais signe,
À l’ombre des coteaux rocailleux et boisés.