Page:Rollinat - Les Névroses (Fasquelle 1917).djvu/314

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Et je suis, juste ciel ! malheureux à ce point,
Qu’au milieu d’une rue ignoble et solitaire
J’aperçois ma maîtresse au bras d’un militaire
Qui fait sonner sa botte, une cravache au poing.

Et la pluie et le vent, les voitures, la boue,
Tout, garçon de café, commis de magasin,
Le roquet, le concierge, et jusqu’à mon voisin
De table, tout cela me vexe et me bafoue.

Je rentre : un gîte plein d’inhospitalité !
Rideaux et papiers peints prennent des tons qui gueulent ;
Quant à mes vieux portraits, on dirait qu’ils m’en veulent
Et ma pendule tinte avec hostilité.

Déjà dans l’escalier, l’œil du propriétaire
M’a requis de payer l’argent que je lui dois ;
Ma porte s’est fermée en me pinçant les doigts
Avec un grincement subit et volontaire.

J’avise l’encrier, mais pas d’encre dedans !
Et moi qui peux fumer nuit et jour, à quelque heure
Que ce soit, mon cigare en ce moment m’écœure :
J’en ai la sueur froide et la nausée aux dents,

Je veux faire du feu : mon bois inallumable
Sue ironiquement sur les grands chenets froids ;
Ma lampe fait craquer son verre, et si j’en crois
Mes yeux, ma glace perd sa transparence aimable.