Page:Romains - Les Copains.djvu/132

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côte, vers les deux heures de l’après-midi, et arrivant à un carrefour. C’était un de ces quartiers que nous aimons tant, vastes, tristes et forts, où rien n’est apparence, où tout existe avec vérité et concentration, où les puissances les plus secrètes de l’univers vont et viennent en pleine rue, parce que personne n’est là qui les épie. Tu sais ? Des maisons pas très hautes, et irrégulières, des cheminées d’usine, un grand mur sans fenêtres et sans affiches, un bistrot rouge au bas d’un hôtel meublé, et surtout une présence continue, un souffle qui n’en finit pas, une rumeur pareille à un horizon. Je me rappelle, mon vieux Broudier, que tu as dit : « Je suis heureux ! » Nous avions déjeuné au premier étage d’un caboulot très bas sur pattes. Nous avions pris un café à deux sous dans un bar, et un cognac à deux sous dans un autre bar. Nous ne demandions plus rien ; nous n’espérions plus rien. Et notre bonheur était dans un équilibre tel que rien ne pouvait le culbuter. Quelle superbe jouissance !