Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 2.djvu/189

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M’avoit tant desrobé l’esprit et la cervelle,
Qu’autre bien je n’avois que de penser en elle,
En sa bouche, en son ris, en sa main, en son œil,
Qu’au cœur je sens tousjours, bien qu’ils soient au
J’avois au-paravant, veincu de la jeunesse, [cercueil.
Autres dames aimé (ma faute je confesse :)
Mais la playe n’avoit profondement saigné,
Et le cuir seulement n’estoit qu’esgratigné,
Quand Amour, qui les Dieux et les hommes menace,
Voyant que son brandon n’eschauffoit point ma glace,
Comme rusé guerrier ne me voulant faillir,
La print pour son escorte, et me vint assaillir.
Encor, ce me dit-il, que de maint beau trofée
D’Horace, de Pindare, Hesiode et d’Orfée,
Et d’Homere qui eut une si forte vois,
Tu as orné la langue et l’honneur des François,
Voy ceste dame icy : ton cœur, tant soit il brave,
Ira sous son empire, et sera son esclave.
Ainsi dit, et son arc m’enfonçant de roideur,
Ensemble dame et traict m’envoya dans le cœur.
Lors ma pauvre raison, des rayons esblouye
D’une telle beauté, se perd esvanouye,
Laissant le gouvernail aux sens et au desir,
Qui depuis ont conduit la barque à leur plaisir.
Raison, pardonne moy : un plus caut en finesse
S’y fust bien englué, tant une douce presse
De graces et d’amours la suivoient tout ainsi
Que les fleurs le Printemps, quand il retourne ici.
De moy, par un destin sa beauté fut cognue :
Son divin se vestoit d’une mortelle nue,
Qui mesprisoit le monde, et personne n’osoit
Luy regarder les yeux, tant leur flame luisoit.