Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 2.djvu/324

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XXXI

Ma Dame beut à moy : puis me baillant sa tasse :
Buvez, dit-elT, ce reste où mon cœur j’ay versé :
Et alors le vaisseau des lévres je pressay,
Qui comme un Batelier son cœur dans le mien passe.
Mon sang renouvellé tant de forces amasse
Par la vertu du vin qu’elle m’avoit laissé,
Que trop chargé d’esprits et de cœurs, je pensay
Mourir dessous le fais, tant mon ame estoit lasse.
Ah, Dieux, qui pourroit vivre avec telle beauté,
Qui tient tousjours Amour en son vase arresté !
Je ne devois en boire, et m’en donne le blâme.
Ce vase me lia tous les sens dés le jour
Que je beu de son vin, mais plus tost une flame,
Mais plus tost un venin qui m’en-yvra d’amour.


XXXII

J’avois esté saigné : ma Dame me vint voir
Lors que je languissois d’une humeur froide et lente.
Se tournant vers mon sang, comme toute riante,
Me dist en se jouant, Que vostre sang est noir !
Le trop penser en vous a peu si bien mouvoir
L’imagination, que l’ame obeyssante
A laissé la chaleur naturelle impuissante
De cuire, de nourrir, de faire son devoir.
Ne soyez plus si belle, et devenez Medée :
Colorez d’un beau sang ma face ja ridée,
Et d’un nouveau printemps faites moy r’animer.