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Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 5.djvu/65

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Quand il vient le matin les Astres enfermer,
Et quand en plein midy tout ce monde il contemple,
Je brusle impatient : et mon mal sert d’exemple
Aux jeunes Poursuivans de jamais ne guarir,
Mais d’apprendre en vivant à doucement mourir.
Certes celuy meurt bien qui meurt par fantasie,
Lors que l’ame amoureuse est tellement saisie,
Qu’en fuyant de son corps pour re-vivre autre part,
A son hoste laissé ses vertus ne depart :
Mais privé d’action demeure froid et palle,
Sans force et mouvement et sans humeur vitalle,
Comme un image fait de bronze ou de metal,
Qui (pour n’estre animé) ne sent ny bien ny mal.
Je ne voy rien icy que douleur ne m’ameine :
Le jour m’est ennuyeux, la nuict me tient en peine :
Et comme un ennemy tresdangereux je fuy
Le lict, qui toute nuict redouble mon ennuy.
Quand le Soleil descend dans les ondes sallées,
Je me desrobe és bois, ou me perds es vallées,
Je me cache en un Antre, et fuyant un chacun
(De peur qu’à mes pensers il se monstre importun)
Je parle seul à moy, seul j’entretiens mon ame,
Discourant cent propos d’amour et de ma Dame :
D’un penser achevé l’autre soudain renaist,
Mon cœur d’autre viande en amour ne se paist :
Il mourroit sans penser, le penser est sa vie
Et ta douce beauté que seule j’ay suivie.
Ainsi par les deserts tout le jour je me deulx,
Puis quand l’obscure nuict se perruque de feux,
Le solitaire effroy hors des bois me retire,
Et jusques au logis Amour me vient conduire.
Quand je suis en ma chambre, encore pour cela
Je ne suis à repos : Amour deçà delà
M’esgratigne le cœur, et ma playe cruelle
Lors que je voy mon lict, s’aigrist et renouvelle.
Pour ne. me coucher point je cherche à deviser,
Je lis en quelque livre, ou feins de composer,
Ou seul je me promeine et repromeine encore,
Trompant d’un souvenir l’ennuy qui me devore.