Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 5.djvu/67

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Au moins je te suppli’ que tu me reconfortes
Couché sous tes rameaux, puis qu’absent je ne puis
Ny baiser ny revoir la Dame à qui je suis.
Je te puis asseurer que l’arbre de Thessale,
De Phœbus tant chery, n’aura louange egale
A la tienne amoureuse, et mes escrits feront
Que les Genévres verds les Lauriers passeront.
Or-sus embrasse moy, ou bien que je t’embrasse,
Abaisse un peu ta cyme, afin que j ’entrelasse
Mes bras à tes rameaux, et que cent mille fois
Je baise ton escorce, et embrasse ton bois.
Jamais du Bucheron la cruelle congnée
A te couper le pied ne soit embesongnée,
Jamais tes verds rameaux ne sentent nul meschef :
Tousjours l’ire du Ciel s’eslongne de ton chef,
Vents, gresle, neige, pluye : et jamais la froidure
Qui éfueille les bois, n’éfueille ta verdure.
Tous les Dieux forestiers, les Faunes et les Pans
Te puissent honorer de bouquets tous les ans
Sacrez à ta maistresse, et leur bande cornue
Face tousjours honneur à ta plante cognuë.
A l’entour de ton pied, soit de jour soit de nuit,
Un petit ruisselet caquete d’un doux bruit,
Murmurant ton beau nom par ses rives sacrées :
Où les Nymphes des bois et les Nymphes des prées
Couvertes de bouquets, y puissent tous les jours
En dansant main à main, te conter mes amours,
Pour les bailler en garde, en faisant leur carole,
A la Nymphe des bois, qui vit de la parole.
Ainsi je parle à l’arbre, et puis en le baisant
Et rebaisant encor je luy vois redisant :
Genévre bien-aimé, certes je te resemble,
Avecq’toy le destin heureusement m’assemble :
Ta cyme est toute verte, et mes pensers tous vers
Ne meurissent jamais : sur le Printemps tu sers
A percher les oiseaux, et l’Amour qui me cherche,
Ainsi qu’un jeune oiseau desur mon cœur se perche :
Ton chef est herissé, poignant est mon souci,
Ta racine est amere, et mon mal l’est aussi :