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Page:Ronsard - Œuvres complètes, Garnier, 1923, tome 6.djvu/232

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Lors la mer des ennuis se desborde sur nous,
Qui de notre raison desmanche à tous les coups
Le gouvernal, veincu de l’onde renversée,
En diverses façons troublant notre pensée.
L’un veut suivre la guerre, et tenir ne s’y peut :
L’autre la marchandise, et tout soudain il veut
Devenir marinier, puis apres se veut faire
De quelque autre mestier au marinier contraire ;
Cestuy-cy veut l’honneur, cestuy-là le sçavoir,
Cestuy aime les champs, cestuy-là se fait voir
Le premier au Palais, et sue à toute peine
Pour avoir la faveur du peuple qui est vaine.
Mais ils ont beau courir : car Vieillesse les suit,
Laquelle en moins d’un jour, envieuse, destruit
La jeunesse, et contraint que leur vigueur s’en-aille
Se consommant en l’air, ainsi qu’un feu de paille :
Et n’apparoissent plus cela qu’ils ont esté,
Non plus qu’une fleurette apres le chaut Esté.
Adonc la mort se sied dessus leur blanche teste,
Qui demande sa debte, et la veut avoir preste :
Ou bien si quelques jours, pour leur faire plaisir,
Les souffre dans le lict languir tout à loisir,
Si est-ce que soudain, apres l’usure grande
D’yeux, de bras, ou de pieds sa debte redemande,
Et veut avec l’usure avoir le principal :
Ainsi, pour vivre trop, leur vient mal dessus mal.
Pour-ce à bon droit disoit le Comique Menandre,
» Que tousjours Jupiter en jeunesse veut prendre
» Ceux qu’il aime le mieux, et ceux qu’il n’aime pas,
» Les laisse en cheveux blancs long temps vivre çà bas.
Aussi ce grand sainct Paul jadis desiroit estre
Deslié de son corps pour vivre avec son Maistre,
Et ja lui tardoit trop qu’il n’en sortoit dehors
Pour vivre avecque Christ, le premice des morts.
On dit que les humains avoient au premier âge
Des Dieux receu la vie en eternel partage,
Et ne mouroient jamais : toutesfois pleins d’ennuy
Et de soucis vivoient, comme ils font aujourd’huy.