Page:Ronsard - Choix de poésies, édition 1862, tome 1.djvu/446

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Où Jupiter, de tant d’amours épris,
Le premier lait de sa nourrice a pris.
Certes ce n’est ma terre ni ma race
Qui me contraint, c’est seulement ta face,
Et ta jeunesse et ton œil nompareil.
Malheureux est qui ne voit le soleil
Quand il éclaire, et son œil tourne arrière
Pour ne jouir de si belle lumière !
Je ne crains point, comme les dames font,
De m’appeler femme d’un vagabond ,
Pauvre fuitif qui n’a maison ni Troie :
Il ne m’en chaut, te suivant, que je soie.
Pourvu qu’il plaise à ton cœur de m’aimer,
Soit que tu veuilles épouse me nommer,
Soit ton esclave, et dussé-je, amusée,
Tourner ton fil autour d’une fusée :
Labeurs présents et futurs je reçoi.
Pourvu, Troyen , que je puisse étre à toi.
Je ne craindrai tes périlleux voyages,
Terres ni mer, tempêtes ni orages :
Ou si j’ai peur, de toi seul j’aurai peur,
Et non de moi de qui tu es le cœur.
Si je péris, au moins en ta présence
Je périrai : ou ta cruelle absence
( Si tu ne veux pour tienne m’acquérir)
Cent fois le jour me tuera sans mourir. »

De tels vers fut son épître achevée,
Puis la scella d’une agate engravée,
La mit au sein de la nourrice, et lors
Une sueur ruissela de son corps :
Avec la lettre encor lui baille l’âme,
Pour lui porter, et mi-morte se pâme,

Tandis Cybèle avait changé de peau,