Page:Ronsard - Les Chefs-d’œuvre lyriques, édition Dorchain, 1907.djvu/91

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SONNETS POUR HÉLÈNE

Laisse-moi cette cour et tout ce fard mondain,
Ta Circé, ta Sirène et ta magicienne.

Demeure en ta maison pour vivre toute tienne,
Contente-toi de peu : l'âge s'enfuit soudain.
Pour trouver ton repos n'attends point à demain ;
N'attends point que l'hiver sur les cheveux te vienne.

Tu ne vois à la Cour que feintes et soupçons ;
Tu vois tourner une heure en cent mille façons ;
Tu vois la vertu fausse et vraie la malice.

Laisse ces honneurs pleins d'un soin ambitieux ;
Tu ne verras aux champs que nymphes et que dieux,
Je serai ton Orphée, et toi mon Eurydice,



QUAND vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
Ronsard me célébrait du temps que j'étais belle.

Lors vous n'aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de mon nom ne s'aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.

Je serai sous la terre, et fantôme sans os
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos :
Vous serez au foyer une vieille accroupie,

Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m'en croyez, n'attendez à demain :
Cueillez dès aujourd'hui les roses de la vie.