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Page:Rosenthal - La Peinture romantique, 1900.djvu/39

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, etc… consacrèrent sa renommée. Jusqu’à la Restauration il domina ses rivaux et faillit éclipser David lui-même.

Malgré cette fortune éclatante et malgré la nature des qualités qu’il déployait, Gros ne fut pas mis au ban de l’École. David, auquel il témoignait, en toute occasion, le plus profond respect et le plus sincère attachement, ne s’irrita pas de sa trahison. On excusa Gros, on le félicita même d’évoquer le souvenir de Rubens et, disait-on avec beaucoup moins de justesse, de Titien ([1]) et l’on affecta de rattacher sa gloire à celle de l’esthétique davidienne. Les vers que Girodet adressa à son camarade sur les Pestiférés se terminaient par ce couplet, d’une inconscience singulière :

             Et toi, sage Vien, toi David, maître illustre,
             Jouissez de vos soins ; dans son sixième lustre
             Votre élève, déjà de toutes parts cité,
             Auprès de vous vivra dans la postérité ([2]).

En réalité, il y avait dans l’œuvre de Gros le germe de plusieurs révolutions et les aspirations, qui devaient caractériser les Réalistes et les Romantiques, s’y trouvaient plus qu’indiquées.

Gros aimait le détail réel d’une passion qui ne reculait ni devant le répugnant, ni devant l’horrible. Du siège de Gênes, il avait conservé des souvenirs qu’il ne craignait pas de raviver. Sur les champs de bataille, il aimait à amonceler les cadavres décomposés par la mort ; on sait avec quelle vérité poignante il peignit les ravages de la peste ; encore atténua-t-il l’horreur de sa première esquisse où il avait placé un soldat vomissant ([3]). Sa puissance à faire surgir une scène, à la placer sous nos yeux, est telle, que ses toiles ont un peu de ce genre de vie que possèdent les panoramas. L’imagination concrète de Gros précise toute chose et ne laisse aucun voile qui révèle la fiction.

Mais ce côté n’est pas l’aspect capital de son génie ; il faut chercher, bien plutôt, son caractère dominant dans les tendances par lesquelles il annonce plus particulièrement le Romantisme ([4]).

Un des défauts de David, qu’il partage avec la plupart des peintres savants ou

  1. Girodet, à propos des Pestiférés et à propos d’Aboukir ; Denon, à propos des Pestiférés (Delestre, Gros, p. 115, 92 et 95).
  2. Ce poéme est une transposition assez amusante des Pestiférés en langue classique : le pus y devient « un sang impur » et le médecin ne manque pas d’être nommé « le fils d’Esculape ».
  3. Delestre, Gros, p. 81.
  4. La tendance réaliste et celle qu’on peut qualifier de romantique sont exprimées dans les deux esquisses des Pestiférés. Dans la première le réalisme triomphe. La salle d’hôpital est nue, Bonaparte soutient dans ses bras un malade. L’étude de la peste s’étale. L’autre est riche, brillante, pittoresque ; c’est la seconde tendance qui l’a emporté.