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été digne de les faire connaître. En même temps que Chateaubriand elle avait compris la beauté de l’art gothique. « La lumière qui passe à travers les vitraux colorés, écrivait-elle, les formes singulières de l’architecture, enfin l’aspect entier de l’église est une image silencieuse de ce mystère d’infini[1]. » Avant les érudits, avant même les artistes, avant Artaud de Montor ou Ingres, elle avait compris les préraphaélites. « Les peintres du quinzième siècle, écrit-elle dans le livre de l’Allemagne, avaient peu de connaissance des moyens de l’art, mais une bonne foi et une modestie touchantes se faisaient remarquer dans leurs ouvrages ; on n’y voit pas de prétentions à d’ambitieux effets, l’on n’y sent que cette émotion intime pour laquelle tous les hommes de talent cherchent un langage, afin de ne pas mourir sans avoir fait part de leur âme à leurs contemporains[2]. » Ce jugement si délicat de sentiment et de forme est repris dans Corinne. « Corinne pensait que l’expression des peintres modernes, en général, était souvent théâtrale, qu’elle avait l’empreinte de leur siècle, où l’on ne connaissait plus, comme André Mantègne, Pérugin et Léonard de Vinci, cette unité d’existence, ce naturel dans la manière d’être qui tient encore du repos antique[3]. »

Pourtant, malgré ces velléités d’émancipation, Mme  de Staël subissait, elle aussi, le joug universel. « Corinne soutenait que les faits historiques, ou tirés des poèmes, étaient rarement pittoresques. » Elle admirait profondément l’antiquité, bien que pour des raisons plus délicates que la plupart des hommes de son temps[4]. La galerie qu’elle s’était composée à Tivoli renfermait le Brutus de David, le Marins de Drouais, le Bêlisaire de Gérard, la Phèdre de Guérin[5]. Mme de Staël comparait un de ses héros « à l’Apollon du Belvédère lançant la flèche du serpent[6] » et déroulait une scène de Delphine devant le Marcus Sextus de Guérin[7].

Enfin, cette initiatrice à la pensée germanique, en condamnait l’art par une sentence tranchante et générale. « Le Nord, affirmait-elle, est si peu favorable aux arts qui frappent les yeux qu’on dirait que l’esprit de réflexion lui a été donné seulement pour qu’il servît de spectateur au Midi[8]. »

L’Allemagne artistique allait avoir très peu de part au mouvement de la peinture française. La pensée germanique, la pensée du Nord ne devait agir, sur nous, que par l’Angleterre ; tandis qu’au sud de l’Europe, un homme qu’un

  1. Corinne, XIX, 6.
  2. De l’Allemagne, II, 32.
  3. Corinne, VIII, 3.
  4. Corinne, VIII, 2.
  5. Corinne, VIII, 4.
  6. Delphine, lettre XLII de la troisième partie.
  7. Delphine, lettre VIII de la seconde partie.
  8. De l’Allemagne, II, 32.