Page:Rosny - Feuilles de Momidzi, 1902.djvu/225

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d’un regard ébahi et n’ose se hasarder à entreprendre cette terrible besogne. Il s’y décide enfin, trébuche par moments et s’acquitte de son mieux de sa délicate tâche. Seguitur que patrem, non passibus æquis.

De poisson une fois découpé en tranches impalpables, le chef de cuisine s’assied sur une natte, tire de sa poche une petite pipe de métal, y glisse une boule de tabac qu’il renouvelle de temps à autre pour jouir, en en savourant le parfum, de quelques instants d’un repos bien mérité.

Quant au garçon, il a reçu les ordres du prœfectus. Il lave à grande eau les fines tranches de poisson, les relave et les relave encore. Au bout d’un quart d’heure, il lève les yeux vers le maître pour savoir de lui si l’opération est terminée.

— Lavez encore ! est la réponse. Une heure après, sans attendre une nouvelle supplique, le chef, qui continue de fumer sur sa natte, répète : « Lavez, lavez encore ! »

Malgré l’amour de l’art qui le soutient, le garçon commence à défaillir ; il demande grâce.

— Lavez encore ! Lavez toujours !

Deux heures et un quart sont écoulées. Le chef murmure :

— « Reposez-vous maintenant… Vous reprendrez tout à l’heure votre service ».

Bientôt en effet, le lavage recommence. Au bout d’une nouvelle heure, le chef déclare l’opération terminée ; il prend délicatement les lamelles de poisson avec des bâtonnets et les dispose avec art sur un plat d’Owari, à fond bleu, ressortissant sur la couverte.