Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/151

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se découvrir, ou jaillir brusquement, en grand nombre, pour une attaque décisive.

La situation des Oulhamr s’aggravait par elle-même. Leur provision épuisée, ils avaient eu recours aux poissons du marécage. Le lieu n’était pas favorable. Ils capturaient difficilement quelque anguille ou quelque brème ; et, malgré qu’ils y joignissent des batraciens, leurs grands corps et leur jeunesse souffraient de pénurie. Nam et Gaw, à peine adultes et faits pour croître encore, s’épuisaient. Le troisième soir, assis devant le feu, Naoh fut pris d’une immense inquiétude. Il avait fortifié l’abri, mais il savait que, dans peu de jours, si la proie demeurait aussi rare, ses compagnons seraient plus faibles que des Nains Rouges, et lui-même ne lancerait-il pas moins bien la sagaie ? Sa massue s’abattrait-elle aussi meurtrière ?

L’instinct lui conseillait de fuir à la faveur des ténèbres. Mais il fallait surprendre les Nains Rouges et forcer le passage : c’était probablement impossible…

Il jeta un regard vers l’ouest. Le croissant avait pris de l’éclat et ses cornes s’émoussaient ; il descendait à côté d’une grande étoile bleue qui tremblotait dans l’air humide. Les batraciens s’appelaient de leurs voix vieilles et tristes, une chauve-souris vacillait parmi des noctuelles, un grand duc passa sur ses ailes pâles, on voyait luire brusquement les écailles d’un reptile. C’était un de ces soirs familiers à la Horde, quand elle campait près des eaux, sous un ciel clair. Les images anciennes remplirent la tête de Naoh, avec un bourdonnement. Une scène se détacha parmi les autres, qui l’amollissait comme un enfant. La Horde campait auprès de ses feux ; le vieux Goûn laissait couler ses souvenirs qui enseignaient les hommes ; une odeur de chair rôtie flottait avec la brise, et l’on apercevait, derrière une jungle de