Page:Rosny - La Guerre du feu.djvu/50

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des lions dans les contrées du fleuve : aucun n’était venu contester sa puissance. Et il ne s’était garé qu’au passage du rhinocéros invulnérable ou du mammouth aux pieds massifs, estimant trop rude la tâche de les combattre. Or, il ignorait la forme étrange qui venait d’apparaître, et ses sens s’étonnaient.

C’était une bête très rare, une bête des anciens âges, dont l’espèce décroissait depuis des millénaires. Par tout son instinct, le tigre perçut qu’elle était plus forte, mieux armée, aussi rapide que lui-même, mais, par toute son habitude, par sa longue victoire, il se révoltait contre la crainte. Son geste traduisit cette double tendance. À mesure que l’ennemi approchait, il s’écartait plutôt qu’il ne reculait ; son attitude restait menaçante. Lorsque la distance fut suffisamment réduite, le lion-tigre enfla sa vaste poitrine et gronda, puis, se ramassant, il exécuta son premier bond d’attaque, un bond de vingt-cinq coudées. Le tigre recula. Au deuxième bond du colosse, il se tourna pour battre en retraite. Ce mouvement ne fut qu’esquissé. La fureur le ramena, ses yeux jaunes verdirent ; il acceptait le combat. C’est qu’il n’était plus seul. Une tigresse venait de surgir sur les herbes ; elle accourait, brillante, impétueuse et magnifique, au secours de son mâle.

Le lion géant hésita à son tour, il douta de sa force. Peut-être se fût-il retiré alors, laissant aux tigres leur territoire, si l’adversaire, surexcité par les miaulements de la tigresse approchante, n’eût fait mine de prendre l’offensive. L’énorme félin pouvait se résigner à céder la place, mais sa terrible musculature, le souvenir de tout ce qu’il avait déchiré de chairs et broyé de membres le forcèrent à punir l’agression. L’espace d’un seul bond le séparait du tigre. Il le franchit, sans pourtant atteindre au but, car l’autre avait biaisé et tentait une attaque de flanc. Le lion des cavernes s’arrêta pour recevoir l’as-