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LE DORMEUR

Déjà le feu diminuait, des braises s’endormaient grisonnantes. L’étain pourtant gardait la température de fusion.

Alors l’enfant, gauchement, prit le manche du creuset, répandant quelques gouttes du liquide effroyable, et il marcha plein de joie, un frais sourire aux lèvres, la prunelle espiègle.

Il dormait toujours, l’étameur, dans une immobilité sereine : il semblait si bon, si doux, si digne d’une vie heureuse !

L’enfant s’assit, déposa son brûlant fardeau, et ses beaux yeux recommençaient à regarder la cavité ténébreuse. L’ouvrier soupira, une houle intérieure souleva la poitrine ; un songe vague fit remuer ses lèvres, et l’enfant soulevait le creuset. Grave, il le pencha sur la bouche ouverte.

Et l’étain coula brusquement, entre les dents, dans les narines.

La chose fut horrible. Tout le corps étendu là se replia, se condensa verticalement. Puis, un bond épouvantable et l’ouvrier se trouvait debout, ses bras tâtonnant, battant le vide, la mort dans les yeux. Puis le corps bondit encore, trois sauts frénétiques et le pauvre homme s’ensevelit entre les céréales, les coquelicots et les bleuets.

L’enfant, un peu effrayé, ses candides pupilles élargies, tremblait au bord du sentier.

Comprenant soudain qu’il venait de faire une chose défendue, il ôta ses petits sabots pour fuir au plus vite à travers champs…