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LE SAUVETEUR

barque, solide, pourvue de tous les perfectionnements modernes ; elle est à double coque, un peu lourde pour la course, extrêmement prompte à reprendre son assiette dans la tempête.

J’ai aussi un petit équipage de loups de mer, courageux comme des lions et soumis comme des caniches. Aussi, quelles émouvantes aventures par les fièvres de l’équinoxe, quand la mer hurle pendant des semaines entières !… Et lorsque vient le beau temps, lorsque le ciel est pur, que la Grande Verte se donne des airs de lac, j’éprouve un malaise, une sorte de nostalgie de la tourmente, je me surprends à souhaiter les mauvais nuages qui annoncent le péril et la mort. Et j’ai beau me reprocher ce vilain sentiment, il me domine, comme le goût de l’alcool domine le buveur.

— Bah ! s’écria Pierre Larue, il n’y a pas de mal, va ! Tous tes vœux n’appelleront pas la tempête… Ce serait une fière chance pour l’humanité si beaucoup de gens avaient des passions comme la tienne !

— Bien sûr ! répliqua-t-il avec douceur. Je ne fais pas de mal… Mais c’est seulement pour montrer que mon dévouement n’est pas tant admirable. Hélas ! si l’on allait au fond des meilleures choses, on y trouverait toujours mêlé un peu de cruauté ou de folie !…