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CONTES. — DEUXIÈME SÉRiE

simple de tous les rêves : il voulait être aimé par une honnête fille. Ce sont, dit l’autre, de ces choses qui arrivent.

En tout cas, ça ne lui était pas arrivé. Vraisemblablement, ça ne lui arriverait pas : il approchait de sa vingt-neuvième année et devenait de plus en plus timide, ahuri, gourde, poire et taciturne. Si, encore, il avait eu de la famille ! Mais il était orphelin. Ou s’il avait eu une vieille amie. Mais il n’avait que des camarades.

En sorte qu’aucune honnête fille ne l’avait vu autrement que saugrenu et même grotesque. Quant aux autres, elles se bornaient à fondre sur lui, par intervalles, et à l’induire à des opérations fructueuses. Il n’avait à leur égard d’autre défense que l’inertie.

Assis dans son encoignure, il les laissait dire sans un geste ni une syllabe. Parfois, cependant, l’une ou l’autre l’empoignait sur un trottoir désert et le forçait à gravir des escaliers inconnus : après quoi, elle l’entôlait avec verve.

Nous connaissions sa marotte. Et nous lui avions déjà servi plusieurs « choucroutes garnies », sous les espèces de la grande Sophie, de Julia Moustache, de Mimi Fontaine-Saint-Michel et de la môme Fourchette. Ces donzelles avaient joué