LA JEUNE SALTIMBANQUE
Je possède dans la Saintonge, raconta Rambourg, une forêt de pins, avec une maison de maître, une ferme et quelques vagues cultures. Il y a cent cinquante ans que ce bien est dans la famille : mon arrière-grand-père l’acheta, pour un morceau de pain, d’un vieux gentilhomme qui s’en débarrassait parce que sa femme, ses filles, ses fils et ses petits-enfants y étaient tous morts. Il croyait le domaine hanté par le diable. Jamais ma famille ne s’en est aperçue. Quatre générations s’y succédèrent sans catastrophes, sinon celles qui sont communes à la malheureuse bête humaine. L’acquéreur se prolongea jusqu’à quatre-vingt-neuf ans ; mon grand-père ne fut pas loin d’atteindre son siècle ; mon père et ma mère vécurent de longs jours.
Quand le domaine m’échut, j’approchais de la quarantaine : mes aînés me le cédèrent moyennant l’abandon d’une part raisonnable de mon héritage. Et moi, qui l’aimais beaucoup, j’y passais